Responsables : Stéphane Audoin-Rouzeau, Marc Olivier Baruch
L’historien du monde contemporain rencontre sans cesse la question de la violence. Sans en être le lieu exclusif, les deux conflits mondiaux définissent en effet par excellence cet « état de nature » de la société internationale, durant lequel aucune règle juridique ne s’applique plus entre États - sinon celles progressivement élaborées d’un droit de la guerre censé protéger les acteurs du conflit de la cruauté croissante de la bataille constatée à partir du milieu du XIXe siècle. L’historiographie, qui reste une des voies d’entrée majeure dans l’étude de la période, a en effet vu succéder à une histoire des batailles - qu’il convient malgré tout de ne pas totalement oublier - une histoire des hommes dans la bataille, et plus généralement, avec l’étude des cultures de guerre, une histoire sociale totale. Histoire dont le pivot essentiel met en relation l’individu et l’État. Ce dernier est en effet à la fois l’acteur de la violence extrême - ce sont les États qui (se) font la guerre, ce sont eux qui exigent de leurs citoyens le sacrifice suprême - et la puissance tutélaire qui doit prendre en compte les effets de cette violence. Il le fait à un double niveau : en même temps qu’il s’efforce de venir en aide à des populations affaiblies (enfants, veuves, infirmes), il doit gérer les effets que cette violence entraîne sur la vie publique, sociale et politique. Nombre de ces États deviendront ainsi la matrice des dictatures, qui sont à leur tour des vecteurs propres de violence.
Le séminaire part de cette constatation que l’étude du combat et de la violence de guerre, ainsi que celle des pratiques et des représentations qui accompagnent cette violence, reste en France trop délaissée. L’histoire militaire et même l’histoire générale du phénomène guerrier se désintéressent le plus souvent des champs de bataille, des hommes qui s’y affrontent, des souffrances qu’ils y endurent, des représentations de ceux qui tentent d’y survivre, et même de l’atteinte aux populations désarmées. Les pratiques de combat sont tout particulièrement déréalisées, comme indignes d’un effort historique spécifique. En prenant à contre-pied les tendances historiques dominantes, le « modèle occidental » de la guerre est étudié en priorité. La période privilégiée est le XXe siècle dans son ensemble, sans toutefois isoler celui-ci du siècle précédent ou du suivant. Le séminaire est centré particulièrement sur les moyens d’approche d’un tel sujet ainsi que sur les difficultés spécifiques que pose son analyse en termes de recherche de clés d’intelligibilité, à la charnière de l’anthropologie et de l’histoire. Au cours de l’année 2007-2008, le séminaire s’est concentré sur la question des contiguïtés et porosités entre activités de temps de guerre et activités de temps de paix. Cette réflexion est prolongée en 2008-2009.
Les dictatures du vingtième siècle sont fort dissemblables dans leurs finalités idéologiques, leurs visées de contrôle social, ou leurs modes d’exercice d’une domination voulue sans partage. Toutes furent pourtant confrontées à des obligations communes de prise en main et de pilotage de l’administration, ossature de l’état.
Pour comprendre les liens construits, au vingtième siècle, entre pouvoir dictatorial et outil administratif, le séminaire, passe d’abord par un travail de recension des appareils d’état à l’œuvre dans les régimes non pluralistes. On pourra ainsi s’intéresser, parmi d’autres, à des questions telles que distinction et articulation des rouages de contrôle politique et de gestion administrative ; outils de commandement ; modalités de promotion et d’élimination des élites ; ampleur enfin des marges de tolérance, voire de dissensus, laissées aux échelons intermédiaires.
Élargir la perspective implique aussi de s’intéresser aux situations limites, à partir d’une réflexion sur l’état d’exception : en effet, dans ces régimes de dictature plus ou moins momentanée, l’administration est souvent amenée, nolens volens, à voir ses missions et son rôle accrus.
Tout ce qui précède entend se situer dans un cadre comparatif. Aussi le questionnement d’ordre méthodologique reste-t-il présent en toile de fond de l’ensemble de la réflexion : peut-on, sans minimiser l’hétérogénéité des formes d’exercice non pluraliste du pouvoir au vingtième siècle, mettre en évidence l’existence d’outils communs à l’ensemble, ou au moins à la plupart des régime analysés ici ?
Beaucoup a déjà été écrit sur la France, l’Europe et le monde entre la fin des années 1930 et le milieu des années 1940, et beaucoup pourtant reste encore à écrire. Par la conjonction entre guerre, occupation, révolution politique et – ce qui le rend irréductible à tout autre conflit – « bio-politique » d’extermination massive, le moment de mise en œuvre puis de destruction de la domination nationale-socialiste de l’Europe continue à générer une demande soutenue de compréhension, à laquelle il convient de répondre en exposant de la manière la plus simple possible des questions de la plus grande complexité imaginable. Complexité des événements – qui implique d’en connaître le déroulement et l’articulation, à commencer par ceux d’ordre militaire, évidemment essentiels – mais complexité des interprétations aussi, qu’on se propose ici d’exposer et d’analyser.
Construit pour les étudiants de première année de Master, ce séminaire à finalité d’abord pédagogique n’entend pas pour autant se contenter d’appliquer à la matière historiographique les « fastidieuses productions de généalogies, froides disquisitions sur les faits, insipides vérifications de dates » dans lesquelles Chateaubriand voyait le travail quotidien de l’historien. Il s’agira, tout en exposant l’ampleur, l’évolution et la finalité de l’immense travail de savoir et de mémoire construit, génération après génération, depuis l’époque des faits eux-mêmes, d’en profiter pour approcher, à partir d’un exemple idéal-typique, les enjeux, les pièges, mais les plaisirs aussi de l’écriture de l’histoire.
Ce séminaire a pour but d’explorer l’impact des guerres, notamment des guerres dites « totales », sur les enfants, conçus à la fois comme des victimes innocentes, mais aussi comme de nouveaux participants à la mobilisation totale des sociétés européennes en guerre. On va considérer les divers efforts pour embrigader les enfants dans la lutte nationale, et les nouvelles protections sociales construites autour d’eux dans l’espoir de créer une génération plus forte. On observera aussi les diverses créations des après-guerres, quand la volonté de reconstruire une enfance victime de la guerre donna naissance à de nouvelles structures d’encadrement et d’assistance sociale, ainsi qu’à de nouvelles visions de l’enfance « endommagée » sur le plan psychique. Des colonies russes pour les orphelins délinquants de la guerre civile, montées par Anton Makarenko, aux maisons d’enfants pour les enfants qui ont vécu les camps nazis, en passant par l’encadrement psycho-pédagogique des enfants prolétaires évacués de villes industrielles en Grande Bretagne en 1939-45, on s’attachera au regard expert de l’hygiéniste, passant des problèmes matériels de pauvreté vers les problèmes affectifs subis par ces mêmes familles ouvrières.
Désenclavant chronologiquement l’étude du premier conflit mondial tout en l’approchant en toutes ces dimensions, les travaux d’histoire culturelle le concernant ont mis en évidence le travail culturel ayant affecté l’ensemble des activités sociales, culturelles et politiques des sociétés en guerre. On s’intéresse non seulement à l’expérience de guerre des soldats mais aussi aux réactions de l’arrière (et plus particulièrement au cas des intellectuels, écrivains et savants). L’histoire politique de la Grande Guerre est également revisitée au travers de ce prisme. Il convient enfin de souligner la place accordée à la question de l’intime et par conséquent l’importance donnée à la réflexion sur les sources comme sur le témoignage.